Drôle de bête!
Étienne Bimbenet, L’Animal que je ne suis plus, Gallimard, folio essai, octobre 2011.
De tout cela, on tombe aisément d’accord. Mais après une introduction brillante et prometteuse, on se perd facilement dans un dédale d’analyses et de commentaires ou de longs développements obligés. Le propos aurait mille fois gagné en force à être moins scolaire, moins académique, en tout cas plus enlevé. Mais, comme bien on pense, on ne peut reprocher à l’auteur de vouloir bien faire, et l’exhaustivité est sans doute son horizon. De toute façon, comme l’actualité parfois fait les livres, le présent ouvrage, par son côté « somme » ou «synthèse» de connaissances et de références, se présente certainement comme un bel investissement pour l’étudiant qui prépare l’agrégation de philosophie — «l’animal» étant le thème du concours cette année. Il en aura largement pour son bel argent blanc.
L’émotion créatrice
Henri Bergson, Les Deux Sources de la morale et de la religion, Présentation par Bruno Karsenti, Flammarion-GF, janvier 2012.
Les Deux Sources de la morale et de la religion, la dernière « grande œuvre » de Bergson, paraît en 1932 et occupe sans doute une place à part dans le corpus bergsonien. Dès l’Essai sur les données immédiates de la conscience (1889), Bergson a toujours eu à cœur d’interroger philosophiquement les présupposés des sciences (la psychologie classique, la physique, la biologie…) ; en s’interrogeant ici sur l’origine de la religion et de la morale, si les Deux Sources témoignent encore de cet intérêt permanent du philosophe pour la discussion de la philosophie avec d’autres champs de la réflexion humaine, en particulier la sociologie d’Émile Durkheim, l’ethnologie de Lucien Lévy-Bruhl et l’anthropologie de Marcel Mauss, il quitte aussi l’ordre des faits et reconnaît que « nous ne sommes plus que dans le domaine du vraisemblable » (p. 326). C’est que cette recherche le conduit à distinguer, au-delà des formes « inférieures » de la morale et de la religion (la « morale close » et la « religion statique », versions figées du fameux « élan vital ») d’autres formes, « morale ouverte » et « religion dynamique » qui, sous les traits du héros ou du saint, témoigneraient d’une véritable prise de contact de la vie elle-même, d’une « émotion » mystique, créatrice de valeurs nouvelles… Un livre qui déroute autant qu’il inspire.
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Un homme blessé
Jean-Noël Jeanneney, L’État blessé, Flammarion, mars 2012.
La récente parution de L’État blessé, est certes circonstancielle, mais la recommandation que fait Michel Winock, le 2 mars dernier, dans le Huffington Post, de ce livre « accablant pour le président sortant », ainsi que la personnalité distinguée et mesurée de son auteur, Jean-Noël Jeanneney, ancien ministre et historien respecté, tout cela laissait augurer, de la part d’un si fin observateur de la vie politique, un réquisitoire bien meilleur. Tous les faits — le Fouquet’s, le yacht de Bolloré, Bigard au Vatican, le «parler comme les gens», le détournement de l’histoire, le tapis rouge pour Kadhafi, le mépris pour la laïcité, la fascination pour l’argent, le footing ostentatoire, le déballage de sa vie sentimentale, l’épisode de la Princesse de Clèves, le tutoiement… —, tous les faits rapportés dans cet ouvrage le sont pourtant avec la plus grande exactitude, et montrent combien l’incapacité de Nicolas Sarkozy à se tenir, à tous les sens du termes, à la hauteur de la responsabilité qui lui a été confiée en 2007, a rabaissé la fonction présidentielle, dévalorisé l’État et affaibli la République. Tout est donc vrai.
Pour tout dire, il y a dans tout cela une mollesse qui ennuie vite, des prudences de chat, même un ton précieux et contourné. On parle donc beaucoup de l’État, de son administration, de ses rituels, de son étiquette, c’est-à-dire de ses manies qui ont parfois, reconnaissons-le, des airs de fossiles ou de curiosités comme en abritent certains cabinets. Nul doute qu’une institution, dans l’exercice de ses prérogatives, trouve à s’incarner dans ces manières compassées d’honnête homme. Elles en font même tout le charme, et ce raffinement contribue à la solennité indispensable qui inspire à chaque citoyen juste respect et déférence. Mais à lire ces commentaires « indignés », on ne peut s’empêcher d’y voir parfois, avec Huysmans, les lamentations d’un Désableau sur la « noblesse de la bourgeoisie »…
Voyage dans le temps
Christian Viollet, Dix jours à Alger. Carnets d’un Printemps manqué. Février 2011, L’Harmattan, Paris, octobre 2012.
À corps perdu
Yannis Constantinidès, Le nouveau culte du corps. Dans les pas de Nietzsche
François Bourin éditeur, Paris, janvier 2013.
À rappeler également, le précédent essai – aussi inattendu qu’insolite – Nietzsche l’éveillé (Ollendorf et Desseins, illustré par Damien MacDonald), dans lequel Yannis Constantinidès proposait d’éclairants rapprochements de la conception du «corps-esprit» cher à Nietzsche avec le bouddhisme zen de Maître Dôgen.
«Halte au narcissisme du corps», émission des Nouveaux chemins de la connaissance dans laquelle Philippe Petit recevait Yannis Constantinidès. [Ecouter l’émission].