The Minute Philosopher

 

L’art, clair miroir du monde…

Arthur Schopenhauer, La Métaphysique du Beau et l’esthétique

Introduction et notes par Christophe Salaün

The Minute Philosopher, août 2018



« Le problème de la métaphysique du Beau se pose en ces termes très simples : comment est-il possible de prendre plaisir à un objet, sans que celui-ci ait quelque rapport avec notre volonté ?

Chacun sent que la joie et la satisfaction produites par une chose ne peuvent résulter que du rapport de celle-ci avec notre volonté, ou, suivant l’expression favorite, avec nos fins ; de sorte qu’une joie sans excitation de la volonté semble une contradiction. Cependant le Beau excite manifestement, comme tel, notre satisfaction et notre joie, sans avoir aucun rapport avec nos fins personnelles, c’est-à-dire avec notre volonté.

Ma solution est que dans le Beau nous saisissons toujours les formes essentielles et primordiales de la nature tant animée qu’inanimée, en d’autres termes, les Idées de Platon à ce sujet, et que cette prise de possession a pour condition sa corrélation essentielle, le sujet connaissant affranchi de la volonté, c’est-à-dire une pure intelligence sans desseins ni fins. De cette façon, dans l’expérience esthétique, la volonté disparaît entièrement de la conscience ; or elle seule est la source de nos chagrins et de nos souffrances. Telle est l’origine de cette satisfaction et de cette joie qui accompagnent l’expérience du Beau : elle repose sur l’éloignement de toute possibilité de la souffrance.

Si l’on objecte que la possibilité même de la joie devrait être aussi supprimée, on doit se rappeler, comme je l’ai souvent exposé, que le bonheur, la satisfaction sont de nature négative, et correspondent simplement à la fin d’une souffrance, tandis que la douleur est ce qui est positif. Aussi quand toute volonté disparaît de la conscience, l’état de joie subsiste, c’est-à-dire l’absence de toute douleur et même de sa simple possibilité, car l’individu, transformé en un sujet de connaissance pure et non plus de volonté, reste néanmoins conscient de lui-même et de son activité. Nous le savons : le monde comme volonté est d’ordre premier (ordine prior), et le monde comme représentation est d’ordre second (ordine posterior). Le premier est le monde de l’aspiration, et par conséquent de la douleur, du mal infini. Le second, au contraire, est en lui-même essentiellement exempt de douleur ; il renferme en outre un spectacle qui vaut d’être vu, toujours et partout significatif, tout au moins amusant. C’est à en jouir que consiste la joie esthétique. Le sujet pur de la connaissance apparaît, quand on s’oublie soi-même pour s’absorber dans les objets perçus, de telle sorte qu’eux seuls restent dans la conscience. Devenir pur sujet connaissant, c’est se détacher de soi-même. Mais la plupart des hommes ne pouvant le faire, ils sont par là même incapables de la conception purement objective des choses, qui constitue le don de l’artiste.»


Extrait des Parerga et Paralipomena (1851), "La métaphysique du Beau et l'esthétique" reprend et précise les grands thèmes de l'esthétique de Schopenhauer: la contemplation des Idées, le plaisir esthétique, la conception du génie, la hiérarchie des arts…



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